Retour sur le Colloque d'Hiver 2024 "Les défis de la transparence en communication interne"
Transparence en entreprise : un impératif stratégique et éthique
Un compte rendu d'Alexandra Giroux, manager de l'équipe Culture et Communication Interne chez Partenamut
La transparence, autrefois reléguée au rang de vertu optionnelle dans les organisations, s’est imposée au fil des décennies comme un pilier fondamental. Elle répond à des attentes accrues des parties prenantes, qu’il s’agisse des collaborateurs, des clients ou des investisseurs. Dans le même temps, elle reflète également un changement de paradigme sociétal. À l’ère de l’hyperconnectivité, les informations circulent librement et rapidement, rendant les pratiques opaques non seulement obsolètes, mais aussi dangereuses. Pourtant, cette quête de transparence, bien qu’essentielle, n’est pas dénuée d’ambiguïtés : entre idéal d’ouverture et contraintes opérationnelles, elle soulève de nombreuses questions sur son rôle et ses limites.
La transparence redéfinit les contours de la confiance dans l’organisation, établit de nouvelles normes relationnelles et transforme la manière dont les entreprises interagissent avec leur écosystème. Mais à quel point cette transparence peut-elle être véritable ? Et surtout, comment la concilier avec les impératifs de confidentialité, d’efficacité stratégique et d’équilibre éthique ?
Ces interrogations étaient au cœur du colloque organisé par l’ABCi le 22 novembre 2024, intitulé « Les défis de la transparence en communication interne : Comprendre et agir ».
Cet événement a permis d’aborder des thématiques fondamentales telles que le rôle du langage, les pratiques inspirantes et les dérives potentielles de la transparence, ainsi que les implications humaines et organisationnelles de cette démarche. En explorant ces dimensions, nous pouvons mieux comprendre pourquoi la transparence représente un enjeu stratégique et comment les entreprises peuvent en faire un levier de transformation.
Langage et transparence : un double tranchant
Le langage, bien plus qu’un simple outil de communication, constitue le fondement de la transparence organisationnelle. En effet, les mots choisis dans les discours officiels ou managériaux ne se contentent pas de transmettre des informations ; ils façonnent également les perceptions, construisent des récits et influencent durablement les comportements. Toutefois, dans le contexte d’une quête croissante de transparence, ce langage oscille souvent entre authenticité et manipulation.
Le piège des « buzzwords »
Au cours des dernières décennies, les « buzzwords » se sont multipliés dans les organisations. Ces termes à la mode, tels que « bienveillance », « développement durable » ou encore « résilience », reflètent souvent une volonté d’adaptation aux tendances sociétales et organisationnelles. Cependant, leur usage excessif ou déconnecté de la réalité peut rapidement les vider de leur substance. Ce phénomène fragilise la crédibilité des entreprises et provoque une méfiance croissante de la part des collaborateurs.
L’impact des oxymores dans les discours managériaux
Des expressions telles que « croissance négative » ou « charbon propre » sont des exemples frappants d’oxymores adoptés pour masquer des réalités inconfortables. Ces termes, bien qu’euphémiques, compromettent la transparence réelle et créent une dissonance entre les discours officiels et la réalité perçue.
Façonner une vision du monde
Comme l’a démontré Viktor Klemperer dans son analyse des discours politiques pendant la seconde guerre mondiale, le langage ne se contente pas de refléter la réalité ; il la façonne. Dans ce contexte, les entreprises doivent faire preuve d’une vigilance accrue dans leur choix des mots, en veillant à ce qu’ils soient porteurs de sens et alignés sur des pratiques concrètes.
Transparence : mythe ou réalité ?
La transparence, bien qu’érigée en idéal, reste une notion complexe à traduire dans les pratiques quotidiennes. Entre attentes des parties prenantes et réalités organisationnelles, elle oscille souvent entre mythe et réalité.
Les promesses et défis de la transparence
La transparence répond à des besoins fondamentaux : construire la confiance, renforcer l’engagement et faciliter la collaboration. Toutefois, elle ne signifie pas tout révéler à tout moment. Elle nécessite une structuration rigoureuse de l’information, où chaque message est calibré en fonction de son audience et de son objectif.
Pratiques inspirantes et dispositifs concrets
Certaines initiatives illustrent une transparence bien pensée :
- Baromètres de confiance, qui mesurent régulièrement la perception des collaborateurs sur des dimensions clés.
- Emails hebdomadaires des dirigeants, favorisant un contact direct et régulier avec les employés.
- Sessions de feedback ouvertes, où les collaborateurs peuvent poser des questions en toute liberté.
Transparence et psychologie organisationnelle
La transparence, bien qu’elle soit une aspiration noble, comporte des implications psychologiques et éthiques qui nécessitent une réflexion approfondie.
Stress et surcharge cognitive
Un excès d’informations, souvent non hiérarchisées, peut générer une surcharge cognitive chez les collaborateurs. Ces derniers, confrontés à une avalanche de données, éprouvent des difficultés à distinguer l’essentiel du superflu, ce qui accroît leur anxiété.
La banalisation des messages
Lorsque tout est communiqué sans discernement, les messages stratégiques perdent leur impact. Ce phénomène, que l’on pourrait qualifier de « dilution informationnelle », contribue à un désintérêt progressif des collaborateurs pour la communication interne.
Un levier de bien-être, lorsqu’elle est bien pensée
Pour éviter ces écueils, la transparence doit être intentionnelle et alignée sur les besoins des collaborateurs. Elle doit également s’appuyer sur des principes tels que la clarté, la pertinence et la cohérence, tout en respectant les limites éthiques liées à la confidentialité.
Transparence participative : impliquer les collaborateurs
La transparence n’est pleinement efficace que lorsqu’elle est participative. Cela signifie que les collaborateurs ne doivent pas être de simples récepteurs d’information, mais des acteurs à part entière de la communication.
La co-construction de la transparence
Impliquer les salariés dans les processus décisionnels renforce leur engagement et leur sentiment d’appartenance. Les ateliers collaboratifs, par exemple, permettent de construire des solutions adaptées aux réalités du terrain, tout en valorisant les perspectives des différentes parties prenantes.
Le rôle central des managers
Les managers jouent un rôle clé dans la mise en œuvre d’une transparence participative. Ils agissent comme des traducteurs, transformant les décisions stratégiques en objectifs concrets pour leurs équipes. De plus, ils facilitent l’expression des idées et assurent un suivi systématique des contributions des collaborateurs.
Mesurer et valoriser les contributions
Une transparence participative nécessite également des mécanismes d’évaluation clairs. Les indicateurs de performance, tels que les niveaux de satisfaction ou les retours qualitatifs, permettent de mesurer l’impact réel des initiatives de transparence.
Une transparence stratégique et éthique pour l’avenir
La transparence est en résumé devenue un impératif stratégique. Elle exige un équilibre subtil entre sincérité et pragmatisme, entre ouverture et confidentialité. Elle permet de renforcer la confiance, stimuler l’engagement et transformer la culture organisationnelle.
Pour y parvenir, trois principes doivent guider les entreprises :
- Structurer et calibrer la transparence, en veillant à ce que chaque message soit pertinent et accessible.
- Impliquer activement les collaborateurs, en faisant de la transparence un processus participatif et interactif.
- Maintenir une posture éthique, en respectant les besoins individuels tout en servant l’intérêt collectif.
La transparence, bien pensée et rigoureusement appliquée, est en conclusion le socle d'une organisation capable d'inspirer confiance et de bâtir des relations durables.
Ont participé à ce colloque :
- Céline Faidherbe : Présidente de l'ABCi.
- Élodie Mielczareck : Sémio-linguiste, consultante, et auteure de Anti-Bullshit.
- Olivier Bouchat : Membre du Comité de direction, Wallonie Entreprendre.
- Lisa Aiello : Chargée de communication, CHR Haute Senne.
- Mohamed-Youness Ouaret : Business Communication Manager, Proximus.
- Chloé Dungelhoeff : Senior Communication, Cultural Transformation & Change Management Advisor.
- Delphine Gilman : Psychologue clinicienne et responsable des relations institutionnelles et de la stratégie, CHU de Liège.
- Fabienne Ravassard : Conseil en implication des collaborateurs et co-auteure de Impliquer vraiment les salariés.
27 novembre 2024 11:21
Julien Hayen a dit