Rencontre avec Benoit Ramacker, porte-parole du Centre de crise national

Un article de Céline Faidherbe - 25 juin 2020



Ce 8 mai, lors d’un temps de discussion virtuel, nous avons eu la chance d’échanger avec Benoit Ramacker, porte-parole du Centre de crise national (NCCN), sur la communication de crise et la communication interne. Nous le remercions pour sa disponibilité et pour les enseignements apportés durant cette session. Vous en trouverez ci-dessous les lignes de force

 

Communication du Centre de crise national, pendant la crise

 

Benoit est responsable communication du NCCN. Il dirige une équipe de 8 personnes, pour la gestion de la communication interne et externe, et en particulier pour la communication de risque et de crise.

Depuis le 12 mars, le Conseil National de Sécurité a décrété une phase fédérale de gestion de crise. Dans le cadre de la communication de crise, Benoit assume plusieurs fonctions : coordinateur de la cellule nationale d’information (une des cellules de crise qui coordonne tous les communicateurs et porte-paroles des ministres ou autorités publiques), conseiller stratégique en communication de crise et porte-parole de crise. Son rôle premier est de faire part de ses conseils en communication de crise.
 

Dans une entreprise, on a plusieurs types de public, comme dans la société. Disposez-vous de techniques de communication pour communiquer avec ces différents publics ?

 

Toute organisation est en effet un microcosme de la société, de manière générale.

Au sein de la Cellule nationale d’information (CELINFO), nous travaillons d’une part sur une communication de masse (point presse quotidien, site web, médias sociaux) tout en reconnaissant que la société belge est multiple, avec des situations individuelles (emploi, famille, vécu,…). Chacun va vivre la crise différemment. C’est très intime et il est impossible de répondre à chaque individualité. Nous devons toutefois en être conscients. 

C’est pour cela qu’à côté de la communication de masse, nous travaillons aussi sur une communication inclusive. Il y a le message général mais nous allons aussi essayer de répondre à certaines différences. Par exemple, nous prévoyons la traduction en langue des signes, nous réalisons des capsules vidéo pour clarifier certains messages, nous prévoyons aussi la traduction des messages de base en 31 langues en plus des langues nationales. 

Dans le même esprit, nous essayons aussi d’aller le plus localement possible. Nous cherchons des intermédiaires, des gens de terrain pour nous aider à faire passer ces messages. 

 

Dans les réactions de la population, tout comme en entreprise, nous rencontrons des profils de personnalités différents (téméraires, anxieux, etc.). Avez-vous des recommandations pour toucher ces profils?

 

Depuis le début de la crise, nous assistons à la formation de clivages. Ceux-ci évoluent au fur et à mesure de la crise. Par exemple, à l’annonce du confinement, la catégorie des jeunes a été pointée du doigt parce qu’elle aurait participé aux lockdown parties. Ce qui s’est révélé faux : les participants aux lockdown parties appartenaient à tous les âges de la population. 

Lors de l’émergence de la pandémie en Chine, il y a eu en Europe un clivage teinté de racisme, contre les Asiatiques, par exemple. Tout au long de cette crise, d’autres clivages sociétaux sont apparus : ceux qui respectaient strictement les mesures renforcées versus d’autres plus laxistes, les plus aisés contre les plus précarisés, les besoins économiques et les besoins plus sociaux,… Par contre, nous n’avons pas perçu de clivage communautaire. 

Pour nous adresser aux différents profils de personnes, nous intervenons de manière indirecte et travaillons avec des leaders d’opinion et associatifs : les mouvements de jeunesse, les artistes, les sportifs, les responsables de festival, par exemple.

A propos des personnes plus anxieuses, je pense que les gens ont majoritairement peur quand ils ne comprennent pas ce qui se passe. Il faut donc revenir à des messages de santé publique simplifiés et leur permettre d’être acteurs afin qu’ils se sentent plus forts.

En renforçant l’information et en permettant de rendre les personnes actrices de la situation, l’angoisse va s’atténuer. Nous avons quand-même créé un nouveau code sociétal (cette distance physique de sécurité par exemple ou le port du masque dans certaines situations), et nous avons demandé de l’adopter rapidement. Il a été accepté relativement facilement par la population.

Pour les téméraires et les plus désinvoltes, nous diffusons des messages de médecins, infirmiers ou personnes qui ont eu le covid-19, pour les conscientiser sur la gravité du virus, sans leur faire peur, en expliquant les choses. 

Dans une organisation, il faut travailler sur ces clivages, s’attaquer à la source pour comprendre les deux comportements. Notre message unique est de renforcer la solidarité.

 

Comment monitorez-vous cette perception des clivages ?

 

Il y a quelques années, nous avons défini un processus opérationnel en communication de crise (POCC).

Chaque jour commence par un monitoring pour recueillir une perception et identifier les besoins en information des citoyens ou les tendances montantes. Cela se fait en coopération avec le réseau de communicateurs de crise (la team D5). Cela permet de suivre l’évolution, de comprendre ce qui perturbe ou intéresse le plus les citoyens. 

Sur cette base, nous adaptons ou modifions le point de presse afin de répondre aux attentes. En fonction des questions soulevées, nous pouvons aussi prévenir une autorité pour qu’elle communique plus ou mieux sur un sujet.

Depuis deux mois, nous adoptons une stratégie globale de communication de crise mais chaque jour, nous adaptons cette stratégie pour y répondre. La flexibilité est cruciale. 

 

 L’humour fait-il partie de vos dispositifs de communication ?

 

Non. L’humour est très important en crise mais certainement pas par les autorités en charge de la gestion et de la communication de crise. Par contre, les humoristes, comme Pablo Andres ou Gui-Home, peuvent beaucoup aider. C’est leur registre, pas le nôtre. 

 

La population a dû s’habituer à un langage technique, scientifique. Comment gérez-vous la compréhension des termes utilisés, comme le tracing, le testing, les masques FFP2 par exemple ? 

 

Les messages portés davantage par le Centre de crise national (NCCN) concernent les comportements sociétaux. Par exemple, le masque FFP2 ne concerne pas la population mais le personnel médical. Avec les partenaires de CELINFO, nous n’utilisons donc pas ce terme. Pour les citoyens, nous parlerons plutôt de « protection ».

Au mot « testing », nous préférons parler de dépistage qui est un terme plus positif.

Les termes « tracing » et « tracking » sont des termes utilisés par les détracteurs. Via tous les canaux d’info-coronavirus.be, nous utilisons davantage le terme « accompagnement et suivi des contacts ». Il n’est en effet, dans les faits, pas question de traquer la population. 

 

Comment vous y prenez-vous pour gérer les rumeurs et les fake news ? 

 

Les rumeurs ont existé de tout temps. Il ne faut pas absolument se battre contre elles car elles sont une manière pour les gens de comprendre et de donner du sens à une situation. On peut simplement revenir régulièrement avec une information officielle et crédible pour la contrer mais cela ne doit pas être un objectif en soi.

Les fake news et désinformations sont par contre plus embêtantes car il s’agit là d’actions avec des objectifs malveillants. Nous n’interviendrons pas directement mais travaillerons par exemple en étroite collaboration avec certains partenaires plus directement concernés ou avec les médias pour contrer ces désinformations. Les médias sont en cela de vrais partenaires dans cette crise. 

Par exemple, lors de la fake news qui a circulé sur Whatsapp concernant le Centre Hospitalier Universitaire Saint-Luc, nous avons pris contact avec l’hôpital et convenu qu’il puisse rapidement réagir pour contrer cette fake news. 

 

Vu la longueur de la crise, avez-vous prévu des back-ups ou un système de roulement au sein de l’équipe ?

 

Le NCCN est en effet sur le devant de la scène jour et nuit depuis deux mois. Nous avons instauré une « routine » de crise mais nous avons également prévu un back-up. Pour moi, il s’agit du porte-parole adjoint. Nous restons bien entendu extrêmement prudents concernant toute mesure d’hygiène.

 

Concernant les experts qui prennent régulièrement la parole, aviez-vous prévu des média training ou avez-vous choisi les experts en fonction de leur façon de communiquer ?

 

Les deux experts (ndlr : Emmanuel André et Steven Van Gucht) ont été choisis par le CNS pour leur expérience, compétence en santé publique mais également pour leurs aptitudes pédagogiques. Ils ont reçu un media-training pour se préparer. Et nous restons très présents chaque jour pour échanger avec eux et pour les conseiller au mieux face à leur rôle essentiel en communication de crise, comme une pièce du puzzle de notre approche multicanale. 

 

En termes de communication, quelles sont vos priorités lors des étapes de déconfinement?

 

Une première chose à signaler, c’est que nous allons devoir accepter de vivre avec le risque. 

Après les attentats de 2016, nous avions progressivement levé les mesures nationales de sécurité mais renforcé les actions locales (fouilles dans les festivals, présence de gardes dans les supermarchés, etc.). La population l’a accepté et a connu la présence inhabituelle de militaires dans les rues. 

Ici, nous allons connaître la même chose : il va falloir accepter les risques ainsi que de nouveaux codes sociaux. La clé restera avant tout une bonne hygiène des mains. Au niveau de la population et donc, des entreprises, la sensibilisation aux réflexes individuels de santé publique et aux précautions collectives reste prioritaire. 

 

Comment déterminer que nous sommes en fin de crise ? Y a t-il des critères ?

 

Actuellement, nous ne sommes plus en communication de crise mais dans une phase de transition. Nous vivons une levée progressive des mesures. 

Sur le long terme, nous retournerons vers une communication de risque, avec une communication sur la prévention en matière de santé publique.

 

Qu’est-il concrètement prévu en termes de communication pour la suite ?

 

Nous poursuivons d’une part l’accompagnement au déconfinement progressif mais nous travaillons aussi, sur le plan des comportements à adopter, sur la sensibilisation au port du masque, au dépistage et au suivi des contacts. Nous voulons clairement mettre l’accent sur le respect de ces mesures par acte de solidarité, et non par une communication culpabilisante.

 

Que direz-vous en cas éventuel de reconfinement ?

 

La vérité ! Notre objectif ne change pas : nous voulons éviter que les hôpitaux ne soient saturés et ce, afin que tout le monde y soit soigné.

Pour atteindre cet objectif, nous avons toujours cherché à être transparents. Il suffit d’aller sur le site de Sciensano pour avoir accès, en opendata, à tous les chiffres et à toutes les données. 

 

Avez-vous déjà des ‘lessons learned’ sur la gestion de cette crise ?

 

Sans avoir beaucoup de recul à ce stade, je dirais que c’est première fois que la communication inclusive a été autant utilisée en communication de crise.

Et puis, le réseautage nous a beaucoup aidé pour percevoir rapidement les signaux et adapter nos communications en conséquence.

 

Vois-tu des similitudes entre la crise des attentats de 2016 et celle d’aujourd’hui ?

 

Les attentats de mars 2016 étaient une crise soudaine, immédiate avec une énorme peur. Mais nous étions vite passés dans une phase de transition. 

La crise d’aujourd’hui se joue sur la longueur. On l’a vue arriver. Ce sont deux cinétiques tellement différentes. 

Mais ces deux crises, par contre, nous ont permis de valider notre méthode de travail, le Processus Opérationnel en Communication de Crise (ou POCC).

Participer à la discussion

Vous souhaitez être tenu au courant des prochaines publications ?