Pierre Guilbert : his name is Knol

Un article de Pierre Guilbert - 8 mars 2017

Pierre Guilbert vient de rejoindre l'ABCi. Bienvenue Pierre ! Comme nous le faisons avec tous les nouveaux membres, nous lui avons proposé de se présenter sur le blog. La forme choisie par Pierre est une lettre. Qui débute par un "hello les comminternateurs"... Et voici la suite de la lettre :

Pierre… qui êtes-vous donc ?

My name is Knol, Docteur Knol. Docteur ? Je me présente en fait comme « toubib d’entreprise ». J’assume cette fonction, avec bonheur, depuis que j’ai vendu mon agence de communication, Qwentès, il y a une vingtaine d’années. Il s’agit d’un titre totalement usurpé mais qui reflète une certaine réalité : on m’appelle lorsque ça va mal, ou tout simplement pour que ça aille mieux. Et il faut dire que ça marche plutôt bien. Je suis rarement en chômage technique.

"Dans ma mallette de toubib, aucun médicament"

Ma chimie à moi, c’est la communication. Interne forcément. Ecrite ou orale, structurée ou informelle, elle passe par la relation entre un responsable et tous ses collaborateurs. Mais aussi entre ces derniers et leur ligne hiérarchique. Une relation dans les deux sens donc, qui doit véritablement booster la motivation et l’implication à tous les étages.

Un toubib est généraliste. Je le suis donc. Pas de spécialisation à outrance, parce que l’humain est avant tout une question de bon sens, de simplicité. Quand on communique compliqué, tout devient compliqué. Mais si je devais me targuer d’une spécialisation, je dirais que je suis « équipuncteur ». L’équipuncture ? C’est l’art de revitaliser les équipes en piquant là où ça agit.

Docteur donc. Mais pourquoi ce Knol ?

Knol est l’acronyme de « Key News On Line », une newsletter très spécifique de com interne que j’installe dans de nombreuses entreprises ou organisations. Mais en réalité cela vient de Qnol, qui voulait dire « Qwentès News On Line ». Du temps de mon agence, je me suis rendu compte que certains membres de mon équipe faisaient l’objet de tentatives de débauchage de mes concurrents. Des concurrents énormes, nettement plus capitalisés. Si je ne faisais rien, je prenais des risques gigantesques. Mais je ne pouvais m’aligner sur les barèmes ou les voitures.

"J’ai donc agi là où je pouvais : sur le plaisir, la motivation, le sentiment d’appartenance"

Mais ça n’est pas quelque chose qui se décrète. Ça s’obtient. Par la communication justement. Et pour une fois, le cordonnier était bien chaussé. Vu que mon agence de communication communiquait bien en interne. Et ça a marché, vu que sur la cinquantaine d’employés, je n’eus aucun départ volontaire durant mes sept années de direction.

Depuis, une de mes spécialités est de proposer et d’implémenter des processus de communication interne, dont la partie la plus visible est le Knol. A chaque fois, c’est le même feedback : le Knol intègre la culture de l’entreprise, à un point tel qu’il y a un avant et un après.

Dans la vie officielle, je m’appelle Pierre Guilbert. Et si un officier d’Etat-civil me demandait comment diable je gagne ma vie, je dirais pompeusement formateur, consultant, coach, auteur et conférencier en people management et en communication. En trois mots : toubib d’entreprise.

De quoi suis-je fier ? 

Je me dirais d’abord heureux. Heureux d’apporter la possibilité du bonheur au travail. Dans tous les jobs, c’est possible. Le « Flow », cet état émotionnel où nous nous réalisons pleinement, n’est accessible qu’à une dizaine de pourcents de salariés.[1] Une proportion dramatiquement ridicule. Les autres flirtent avec le burnout ou le bore out, ou tout simplement se complaisent dans le présentéisme : ils prestent des heures, mais à quoi servent-elles, ces heures, reste un autre problème.

"En agissant autrement, les managers peuvent complètement modifier le climat dans leur entreprise"

En visant à ce que 100% des membres de leurs équipes soient dans le Flow. C’est à cela que j’œuvre. J’en suis heureux. Et fier.

Et pour cela, une évidence : ça n’est pas en agitant la promesse d’une augmentation de salaire qu’ils y arriveront. La rémunération est tout au plus un critère, important certes, de satisfaction ou d’insatisfaction. Pour motiver, il faut quatre ingrédients, totalement gratuits : le respect, le sens, le feedback et le plaisir. Et ces ingrédients, on ne les obtient qu’en ne faisant jamais jamais l’économie d’une bonne communication en interne.

Une autre fierté ?

Ben oui, même si, avec le temps, je ne sais pas si ce fut une bonne idée… Avec Qwentès, on a fait gagner le Oui au referendum français sur Maastricht. Rien que ça. OK, c’était au siècle dernier, en 92, c’est-à-dire à une époque où l’hostilité à l’égard des institutions européennes était nettement moindre. Pourtant, le referendum décidé par Mitterrand avait de quoi énerver Delors, alors président de la Commission européenne.

Un referendum sur des questions institutionnelles, tous les hommes politiques qui ont cru y trouver un regain de gloire s’y sont plantés : De Gaulle avant ; Chirac, Cameron, Renzi récemment. Et cette fois-là, Mitterrand. Quelques mois avant la date, les sondages montraient une chute du Oui ; le Non allait l’emporter.

Une campagne fut décidée dare-dare, et il fallait une agence pour la réaliser. Qwentès était toute désignée, dans la mesure où nous étions en charge de toute l’information sur la politique régionale de l’Union.

Nous étions avant Internet.

"En six semaines, nous avons réalisé 23 brochures"

Une par région et une pour l’ensemble du pays : à l’attention des leaders d’opinion, parlementaires, élus régionaux, chefs d’entreprise, chambres de commerce, syndicalistes. La grande force de l’approche qui a été adoptée fut de se contenter d’aligner des faits, des success stories. Voici ce que l’Europe a permis dans votre région. Et toute une litanie de réalisations suivait – infrastructures, centres de formation, aides au développement rural, etc. –, qui permettait auxdits leaders de convaincre leurs interlocuteurs de l’utilité du renforcement de l’Europe, entre le pastis et la partie de boules.

Le Oui l’a finalement emporté avec 51,04 % des voix. C’est maigre. Ce qui me permet de dire que soit notre travail n’a strictement servi à rien, soit que c’est nous qui l’avons fait gagner de justesse. Je vous laisse le verdict, messieurs-dames les Abcistes.

Le pire, c’est que, un, nous n’avons jamais pu nous targuer de cette réalisation, dans la mesure où officiellement c’était le Bureau de représentation de l’UE à Paris qui devait s’en charger. (Je suppose qu’il y a aujourd’hui prescription…) Deux, nous n’avons pas gagné un balle sur cette opération. En effet, il y eut dans la foulée une énorme spéculation financière sur le système monétaire européen, qui ne profita pas au franc belge, monnaie forte à l’époque, au grand étonnement des Belges et au non moins grand désespoir de ma directrice financière.

Etait-ce de la communication interne pour autant ? Ben, en quelque sorte. Pour une population de 57 millions de personnes.

Une réalisation un peu folle ?

Mais madame, la communication interne est une affaire sérieuse ! Allez, quand même, je peux glaner çà et là de belles petites pépites. Avec un client industriel, j’ai fait la totale : installation d’un Knol, formation au people management, organisation d’un forum. En bref : une nouvelle culture d’entreprise. La boucle est bouclée et en route pour le Flow !

Pour ces forums, j’ai mis au point une méthode, le « Tick-Meeting », qui permet de faire remonter des informations, des critiques ou doléances mais aussi des suggestions à la hiérarchie.

"Là où le Knol est Top – Down, le Tick-Meeting est Bottom – Up"

Avec le Tick-Meeting, on peut animer de très grands groupes et les faire plancher sur plusieurs thématiques en quelques heures.

J’en organise très régulièrement, avec des membres des équipes comme avec les stakeholders. Mes records : les 400 employés de KBC Brussels et 250 professionnels du tourisme en Wallonie. C’est dense, efficace, démocratique.

Une anecdote ?

Il y a une dizaine d’années, j’ai effectué un audit de la communication interne chez Maroc Telecom, à Rabat. A grand renfort de publicité, Maroc Telecom avait conçu un tarif préférentiel pour la diaspora marocaine en Europe, avec des partenaires locaux. Mais ils oublièrent complètement de communiquer en interne à ce sujet.

Les 11.000 employés de l’époque avaient tous un frère, un cousin, un ami qui vivait en Europe. Et qui, lorsqu’il réalisa qu’il payait cher ses factures de téléphone, maudit son frère, cousin ou ami de Maroc Telecom.

C’est con. Communiquer l’existence de ce tarif en interne ne coûtait rien. Et permettait de disposer gratuitement de 11.000 promoteurs du produit. Ne pas le faire eut un prix énorme : le sentiment d’irrespect, le ressentiment à l’égard de la hiérarchie, la propagation d’une mauvaise image de la firme, la démotivation.

C’est de là que j’ai construit cette règle incontournable :

"Lorsqu’on est au courant de l’interne par l’externe, c’est qu’on a très très mal fait son travail de com interne"

Des difficultés pour l’avenir ?

L’avenir très proche regorge de difficultés et de challenges.

L’agonie de l’emploi salarié n’est sans doute pas le phénomène le plus négligeable. Et pourtant, j’en suis sûr : elle est là. On annonce la suppression de 2 milliards d’emploi d’ici 2030. Un emploi sur deux au monde. Passé à la trappe du fait de la robotisation intelligente et de la mondialisation.

Un exemple ? Pensez aux effets de la voiture autonome… Plus de chauffeurs de taxis, de bus, de trains, de trams, de poids lourds ; plus de livreurs de pizzas ni de courtiers d’assurances voiture ; plus de stations-services, de contrôles techniques, de moniteurs d’auto-écoles, de stations de péage ; plus de vendeurs de voitures tout court ! Et même, aïe aïe aïe… plus de radios.[2]

N’ayons crainte toutefois : la disparition progressive de l’emploi salarié ne fera pas pour autant disparaître la nécessité de la communication interne. Mais le scope changera. On sera davantage orienté réseaux et projets, dans le cadre de l’économie collaborative, et nettement moins structure classique et figée.

Les cloisons seront abattues, au propre comme au figuré. Les travailleurs (et le terme perdra de sa connotation prolétarienne en matière de lutte des classes) seront davantage nomades et coworkers, avec un sentiment d’appartenance multiple. Le temps du travail sera davantage lâche, avec dès lors des défis en termes de « just-in-time ». Mais aussi de soudure d’équipe.

Inscrits dans une économie collaborative et transversale, les outils de partage professionnels vont connaitre une lutte importante en cette année 2017 : Workplace, lancé par Facebook, versus Yammer, intégré dans la suite Office de Microsoft. Un gagnera, l’autre pas. Et LinkedIn, qui n’a jamais réussi à créer une interface suffisamment « userfriendly » ne parviendra sans doute pas à occuper la place.

Mais derrière ces choix technologiques, la culture doit s’adapter au partage.

"De nombreux managers, souvent peu familiers des réseaux sociaux, ont peur de cette liberté soudaine d’expression" 

Ils veulent contrôler, ce qui n’a aucun sens. Ou ont peur des dérives. Des échanges futiles par exemple. Vont-ils « dépointer » avant de raconter leurs conneries ?... Ces questions existent, même si elles semblent obsolètes. Ce sera à nous de les traiter.

En même temps, le management ne devra pas abandonner son obligation de communiquer au bénéfice de cette seule communication transversale et plus informelle. Le Top – Down devra toujours subsister en la matière. Parce que la transparence doit venir de ceux qui savent. Or, avec la zone de turbulence dans laquelle se trouvent l’ensemble des acteurs économiques, la communication interne s’apparentera parfois à la communication de crise. Incontournable. Ne pas communiquer reviendrait alors à laisser le leadership aux opposants.

Donc, oui, si le 21ème siècle sera celui de la communication, les années qui viennent donneront une responsabilité particulière à la communication interne, dans toutes ses facettes.

Mon existence virtuelle

  • J’ai un site et un blog, sur www.pierreguilbert.be. Mais là, je suis, je l’avoue, parfois cordonnier mal chaussé.
  • Je suis très présent sur Facebook, avec en outre plusieurs pages, liées à mes livres.
  • Sur LinkedIn, mon profil est à jour, mais je l’exploite très peu.
  • Twitter ? J’y suis. Mais je suis un grand bavard, et donc le format, limité à 140 signes, reste assez dissuasif pour moi.

Je passe souvent pour un geek, à ne plus jamais lire ou écrire sur papier, à utiliser le Web et les réseaux sociaux à tout bout de champ.

"Mais je continue à croire très fort au présentiel, au contact humain" 

Voilà l’enjeu : dans un monde qui se dématérialise et se distend, garder le rapport humain au centre des opérations. C’est ce qui nous unit. Et qui donne à notre métier son côté palpitant.


[1]      Selon une étude de l’Institut Gallup datant de 2012, seuls 9 % des salariés français se disent « engagés », c’est-à-dire impliqués et proactifs, et donc épanouis dans leur travail et créateurs de valeur pour leur entreprise.

[2]      Où écoute-t-on la radio ? Essentiellement, peu de temps, dans sa salle de bains ; et, surtout, dans sa voiture. Lorsqu’on aura pris l’habitude de se faire conduire par sa voiture autonome, on fera autre chose de ses yeux. Et donc, on lira, travaillera, regardera un film. Les radios classiques peuvent se faire du mouron…

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