Le silence est d'or, la question est d'acier.
Et si la meilleure compétence d'un communicant était de savoir se taire pour poser les bonnes questions ?
L’ère des ACA « Actes de Communication Aléatoires » touche à sa fin. Pour devenir un partenaire stratégique incontournable, la ou le responsable de la communication doit désormais transformer sa posture. La clé : questionner. L’objectif : forcer la lucidité.
En effet, le bon réflexe du communicateur n'est pas de dégainer le canal adéquat, mais de soulever l'interrogation essentielle. C'est dans le creuset de ces questions, denses et acérées que se forge la valeur ajoutée réelle. Envie de vous lancer ? Voici quelques questions à ajouter à votre kit de survie de stratège.
I. Dégager le « pourquoi » avant le « quoi »
Toute intervention tactique non précédée d'une analyse chirurgicale n'est qu'une dépense de ressources. La première tâche du stratège consiste à démasquer le véritable problème, souvent masqué par des symptômes bruyants. C'est l'art de savoir se taire pour laisser émerger la vérité crue.
1. Questionner l'enjeu stratégique
- Que cherchons-nous précisément à transformer, et chez qui ? (Cibler le comportement, non l'information.)
- Ce sujet est-il un problème de communication, de leadership, de processus, ou de structure ? (Le communicant doit refuser de colmater les brèches organisationnelles.)
- Quels processus internes ou quelles croyances limitantes entretiennent la situation actuelle ? (Mettre au jour l'inertie ou la culture de l'organisation qui empêche le changement.)
2. Ausculter la culture et les valeurs
- Comment les dirigeants souhaitent-ils que les employés se sentent et agissent au quotidien pour soutenir la stratégie ? (Passer des valeurs affichées aux comportements vécus.)
- Quelle est la culture que nous aspirons à construire, et en quoi diffère-t-elle de celle qui prévaut réellement aujourd’hui ? (Ne pas se contenter des mots sur le mur, mais des comportements concrets.)
II. Définir le succès par le coût de l’inaction (COI)
Le communicant se doit de basculer des outputs (le nombre d'e-mails) vers les outcomes (le changement mesurable). La rhétorique du Retour sur Investissement (ROI) est un leurre purement financier ; celle du Coût de l'Inaction (COI) est une arme de conviction.
1. Fixer l'objectif et l'issue souhaitée
- Que se passe-t-il concrètement si nous ne faisons rien ? (Quantifier le COI : perte de productivité, risque de sécurité accru, turnover ?)
- Quel comportement concret attendons-nous des collaborateurs à la suite de cette initiative ? (Fuir l'abstraction : l'objectif doit être SMART.)
- À quoi ressemblerait un véritable succès, non pas en clics, mais en impact business ou opérationnel ? (Tracer la ligne entre l'action de communication et le KPI)
- Que ferons-nous si le plan initial échoue ? (Prévoir la contingence, signe de maturité stratégique.)
2. Démontrer la valeur
- Comment pouvons-nous corréler nos actions de communication à l'amélioration d'un indicateur de performance clé (KPI) de l'entreprise ? (Établir la causalité, non la simple coïncidence.)
- Quelle conversation, au-delà d'un simple tableau de bord, devons-nous avoir avec la direction sur les implications de ces résultats ? (L'analyse prime sur la donnée brute.)
III. Parler aux bonnes personnes
Une communication pertinente est souvent une communication ciblée. Qui a réellement besoin d’entendre ce message ? Se poser cette question permet d'éviter l'écueil de la diffusion massive qui engendre parfois plus de bruit qu’autre chose.
1. Affiner l'audience et le messager
- Qui est le public cible précis, et que savons-nous de ses préférences et de ses préoccupations actuelles ? (Adapter le canal à l'audience, non l'inverse.)
- Qui est le plus légitime pour porter ce message, et non pas qui en a envie ? (Le communicateur est le metteur en scène, le leader est l'acteur principal.)
- Qui sommes-nous en train d’ignorer, et pourquoi ? (Souvent, les "oubliés" détiennent la clé de la réussite ou de l'échec.)
IV. Passer de l'exécution à la co-résolution
Face à une demande (« Fais-moi une affiche ! »), le stratège ne se contente pas d'obéir. Il déconstruit la demande pour révéler l'enjeu fondamental, et transforme ainsi le rôle de « fournisseur » en celui de « partenaire ».
1. Questionner la demande entrante
- Quel est le problème que nous essayons de résoudre ici ? (La question fondatrice pour dépasser la demande tactique.)
- Pourquoi cette communication est-elle importante pour l'organisation, ici et maintenant, et non pas dans six mois ? (Évaluer l'urgence stratégique.)
- Qu'avons-nous déjà tenté par le passé sur ce sujet, et qu'avons-nous appris de ces expériences ? (Éviter les erreurs déjà commises, montrer l'antériorité.)
2. Construire la relation proactive
- Quels sont les obstacles ou les freins que vous anticipez pour atteindre vos objectifs pour les deux prochains trimestres ? (Impliquer le partenaire dans la gestion des risques.)
- Quelles sont vos préoccupations sous-jacentes que nous devons comprendre pour vous aider au mieux ? (Dépasser la solution proposée par le partenaire pour comprendre son besoin réel.)
V. De la stratégie au terrain
Même l’étape tactique doit être guidée par une réflexion stratégique, afin d'éviter la prolifération de messages sans âme. C'est l'intelligence de l'exécution qui valide la justesse de l'analyse.
1. Canaux, contenu et pertinence
- Ce message est-il si critique qu'il justifie une diffusion multi-canaux, ou risquons-nous de contribuer au bruit ambiant ? (L'économie de l'attention est le nouveau chic.)
- Comment pouvons-nous rendre ce contenu pertinent, concis et facile à consommer, en y incluant un petit plus (bénéfice, reconnaissance, humour) pour encourager l'engagement ? (Passer de l'obligation de lire à l'envie de savoir.)
2. Processus et efficacité
- Comment pouvons-nous utiliser l'intelligence artificielle pour automatiser les tâches à faible valeur ajoutée et ainsi libérer du temps pour la réflexion stratégique ? (L'IA comme levier de l'acuité, non de la quantité.)
- Qui est le véritable responsable de l'approbation finale ? (Simplifier le processus de validation pour éviter l'épuisement et les messages fades.)
VI. Jauger sa propre posture
Devenir stratège n'est pas un titre, mais une discipline. Le communicant doit s'auto-évaluer continuellement pour monter dans la pyramide des rôles, passant du simple « Fast Food Communicator » (preneur de commandes) au statut convoité de « Executive Counselor » (conseiller exécutif).
1. Auto-diagnostic lucide
- Mon travail est-il principalement proactif (aligné sur le long terme) ou réactif (répondant aux urgences du jour le jour) ? (Le ratio est le miroir de l'influence.)
- Est-ce que je me concentre sur la quantité (produire plus) ou sur l'impact (provoquer un changement mesurable) ? (L'excellence se mesure à la profondeur, non au volume.)
2. Accroître l'influence
- Comment puis-je mieux articuler la valeur de la communication pour que les dirigeants me perçoivent comme un solutionneur de problèmes business ? (Changer de langage : parler de marché, de rendement, d'efficacité.)
- Face à la surcharge, comment puis-je utiliser ma stratégie pour dire « non » à ce qui n'est pas aligné, ou « oui, et voici comment nous pouvons le faire » de manière constructive ? (L'art du « non » stratégique est l'ultime marque de l'autonomie et de la crédibilité.)
La discipline du questionnement
La force d’un communicateur ne réside plus dans sa capacité à produire, mais dans son audace à déranger. Adopter ce questionnaire, c'est refuser l’évidence et affûter son prisme.
Vos leviers concrets :
- Imposez la première question : face à toute demande, commencez systématiquement par : « Quel est le problème business que nous essayons de résoudre ici ? »
- Quantifiez l'absence : encouragez le calcul ou l'articulation du Coût de l'Inaction (COI) pour toute initiative. Transformez l'argument de la dépense en argument du risque.
- Montez dans la pyramide : consacrez 20 % de votre temps à des sujets proactifs, alignés sur les objectifs à 12-24 mois, même si cela implique de repousser des tâches réactives à faible impact.
La curiosité est le moteur de l'intelligence. En posant ces questions, le communicateur interne ne réclame pas sa place à la table : il démontre, par la rigueur de son approche, qu’elle est déjà sienne. Le silence est stratégique ; la question, fondatrice.
Visuel Salvador Dali "Silence is Golden Creative Statue Mask"


