« Un monde du travail pas très gai »

Un article de Liliane Fanello - 5 avril 2016

L’orientation sexuelle et l’identité de genre restent des parents pauvres des politiques diversité des entreprises. « Pourquoi parler de cela ? » Visiblement, le sujet dérange les départements ressources humaines et communication. Cédric Monserrat, responsable Carrières et Emplois à Groupama Banque (France) a mené une recherche sur la discrimination des travailleurs LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans). Une étude édifiante.

Les conclusions ont été présentées lors des 11èmes Rencontres Internationales de la Diversité, en décembre 2015 à l’Université de Liège : moqueries, blagues de mauvais goûts, insultes à répétition, voire discriminations, sont loin d’avoir disparu du quotidien des personnes LGBT. 

Cette étude menée par Cédric Monserrat dans le cadre de son Executive Master à l’Essec Business School de Paris confirme ce que le Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances a déjà dénoncé : « En dépit des avancées en termes de droits (lois anti-discrimination, cohabitation légale, mariage, adoption), malgré des progrès dans l’acceptation de l’homosexualité par la société, on constate que les préjugés et les stéréotypes à l’égard des personnes homosexuelles demeurent. »

Plus d’1 LGBT sur 2 victime d’acte homophobe

En 2013-2014, Cédric Monserrat a interrogé 497 personnes LGBT et quatre directeurs de la diversité de grosses sociétés françaises. Sa recherche confirme tout d’abord que les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre existent bien. Si 70% des personnes LGBT n’ont jamais été confrontées à une discrimination, 18,5% se sont vues refuser un emploi en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre, 22,9% se sont vues refuser une évolution professionnelle, 13% disent avoir été licenciées et 5,5% ont été poussées à la démission.

Par ailleurs, 51,3% des répondants confirment avoir été au moins une fois victimes d’un acte homophobe et 37,2% en ont été témoins. 8,4% précisent avoir fait l’objet de harcèlement. « Les actes homophobes concernent principalement des moqueries, blagues, rumeurs et insultes. Ils peuvent parfois être plus graves, allant jusqu’à l’agression ou la dégradation des biens de la victime. Les auteurs de ces faits sont d’abord les collègues de même niveau puis leur hiérarchie. »

Témoins et victimes : la loi du silence

Pourtant, très souvent (pour 67% des répondants qui ont été victimes d’actes homophobes), ce genre de discrimination ne donne lieu à aucune action. Les victimes ont peur : peur d’aggraver la situation, fatigue morale, peur de nuire à sa carrière, peur de révéler au grand jour son orientation sexuelle, peur d’aggraver l’ambiance au travail, manque de preuves, méconnaissance des recours possibles…  C’est ce que le Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances appelle « phénomène de sous-rapportage des actes homophobes » : « Seul un petit nombre des victimes qui se manifestent sont capables de traduire leur mécontentement en action judiciaire. »

Même constat du côté des témoins d’actes discriminants. Tout le monde semble avoir des raisons de choisir de se taire ! Cédric Monserrat souligne tout de même que 33% des répondants ont agi après un acte discriminant, prioritairement auprès de leur ligne managériale et des représentants du personnel, puis auprès de leurs collègues de même niveau. Mais il ajoute que « 52% de ces actions n’ont pas été suivies d’effets. Et dans 63% des cas, les répondants n’en connaissent pas les raisons. »

Cost of thinking twice

Au-delà des actes discriminants, Cédric Monserrat montre que de manière générale, les collaborateurs LGBT préfèrent rester discrets. « ‘Et toi qu’as-tu fait ce week-end ?’ Cette question peut paraître banale, mais pour un collaborateur homosexuel, elle peut être très embarrassante, si bien que moins d’un salarié LGBT sur deux y répondra franchement, sans avoir à mentir ou à se cacher, anticipant des conséquences négatives sur l’évolution de leur carrière ou une possible dégradation de leurs conditions de travail. » Il souligne cependant : si se cacher semble être la première réaction des LGBT, celle-ci n’est pas sans conséquences. « Mentir demande de l’énergie et influe sur le moral. IBM parle du ‘cost of thinking twice’».

Manque d’estime et dépression

L’implication et l’engagement des collaborateurs LGBT est donc en jeu, souligne Cédric Monserrat. « Face à une menace possible d’actes homophobes, ceux-ci adoptent diverses stratégies impactant leur carrière : 18% ont au moins une fois refusé de postuler à un emploi, 59% affirment masquer leur orientation sexuelle lors d’un entretien d’embauche et 14% masquent totalement leur orientation sur le lieu de travail. » Dans certains cas plus graves (23%), les collaborateurs masquant leur orientation sexuelle vont jusqu’à connaître une ou plusieurs phases de dépression.

« Le problème est semblable à ce que les femmes ont vécu pendant longtemps, à savoir un manque latent d’estime de soi. Vivre une orientation sexuelle différente mine la confiance en soi et l’énergie. Pour certaines personnes, cela va jusqu’à l’autocensure par rapport à leur carrière », constate le responsable du réseau LGBT d’une grande entreprise que nous avons interrogé.  

Zéro tolérance

Dans son étude, Cédric Monserrat propose une série de pistes pour créer un environnement inclusif pour tous les collaborateurs. La première est d’inscrire clairement, aux côtés des autres sujets, le thème LGBT dans la politique diversité de l’entreprise. « Intégrer un volet LGBT à la politique de diversité et mener des campagnes de communications sont des clés indispensables à l’appropriation du sujet et au recul de préjugés. »

Son mot d’ordre est « zéro tolérance ». « L’employeur a l’obligation d’assurer la protection de ses salariés et de sanctionner les actes homophobes. Laisser faire ou dire donne un sentiment d’impunité pour les auteurs et ancre les collaborateurs LGBT dans la ‘clandestinité’. »

Sensibilisation et communication

Il insiste également sur le rôle des instances dirigeantes. « En montrant son engagement, la direction générale montre l’importance qu’elle accorde au sujet. Sans son appui, le projet est voué à l’échec. » Il souligne aussi l’importance du soutien de personnes hétérosexuelles à tous les niveaux de l’entreprise. Ces « straight allies » sont d’autant plus précieux qu’ils « ne pourront être taxés d’intérêt partisan. »

Tout cela doit s’accompagner d’actions d’accompagnement, de formation et de sensibilisation de toute l’organisation. Il préconise aussi un audit des pratiques RH en vue d’identifier celles qui pourraient créer un désavantage, voire une discrimination.

Enfin, il pointe l’intérêt des réseaux sociaux d’employés LGBT émergeant dans certaines grandes entreprises. « Il faut toutefois veiller à être vigilant face au communautarisme, l’objectif n’étant pas de créer une multitude de groupes qui attireraient vers eux l’attention mais de créer un environnement inclusif où chacun puisse venir au travail en étant lui-même. »

Si l’on considère que la population LGBT représente 7% de la population globale, les organisations auraient tout intérêt à s’intéresser à cet aspect de la diversité.

 

11èmes Rencontres internationales de la Diversité

Les 10 et 11 décembre 2015, l’Université de Liège accueillait les 11èmes Rencontres internationales de la Diversité. Chaque année depuis 2005, cet événement interroge les nombreux défis et dimensions de la gestion de la diversité. Organisé par la Chaire Diversité et Innovations sociale de l’ULg, en collaboration avec l’Association française des Managers de la Diversité (AFMD) et l’association « Les défis de la diversité », il a rassemblé 150 participants, professeurs, chercheurs, doctorants, praticiens et acteurs de la diversité provenant de Belgique, de France, du Québec, du Maroc, du Bénin, de la République Démocratique du Congo… Thème de 2015 : « Politiques de diversité dans les entreprises : où en est-on dix ans après ? »

 

 

 

 

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